24 mai 2014

David O. Selznick Autant en emporte le vent - mémos 9

Mémo 12, 3, 4, 5, 6, 7, 8
12 octobre 1939
A John H. Whitney
Cher Jock,
Je vais me lancer dans la bagarre sur ''Franchement, ma chère, je m'en fiche comme d'une guigne''. Puis je compter sur votre aide si nécessaire. Si je ne peux convaincre le bureau Breen d'ici à ce sujet (surtout dans la mesure où l'Oxford Dictionary indique clairement que l'usage de cette expression n'est même pas considérée comme un juron anodin, mais comme une expression familière), alors je pense que la meilleure façon de s'en sortir serait que vous avisiez Hays que vous insistez pour qu'on convoque immédiatement une réunion extraordinaire du Conseil d'administration pour statuer sur ce cas. Je doute que les directeurs de la compagnie veuillent perdre leur temps à une réunion aussi idiote que celle-ci. Si vous pouviez en contacter personnellement deux ou trois, j'imagine qu'ils diraient à Hayes de laisser tomber. Nick Schenck ne nous aiderait en rien, car il estime que cela n'a aucune importance. Mais il n'a pas eu, comme moi, l'avantage de voir les deux versions et d'apprécier la grande différence que cela fait pour la fin du film. (En confidence nous avons tourné deux versions – s'ils le savaient ils pourraient se fâcher).
Naturellement nous menons une lutte contre la montre, mais j'ai monté le négatif de telle façon que, jusqu'aux dernières semaines avant que film aille dans l'Est, nous pourrons l'introduire dans le montage. En ce moment, tout ce que je veux savoir, c'est si vous êtes avec moi, Missié, comme on dirait dans le Sud.
 
20 octobre 1939
M. Will H. Hays
Motion Picture Producers and Distrbutors of America Inc.
Cher M. Hays
Comme vous le savez probablement, la réplique qui frappe dans Autant en emporte le vent, la seule bribe de dialogue qui fixe les relations futures entre Rhett et Scarlet est :''Franchement, ma chère, je m'en fiche comme d'une guigne''.
Naturellement, je désire vivement conserver cette phrase et, à en juger d'après les réactions du public des deux avant-premières, on se souvient de ces mots, on les aime, et les millions de gens qui ont lu ce nouveau classique américain les attendent avec impatience.
Selon le code [Hays], Joe Breen est incapable de me donner la permission d'utiliser cette phrase parce qu'elle contient le mot ''fiche'', mot spécifiquement interdit par le code.
Comme vous avez pu en juger d'après mes travaux précédents sur des films tels que David Copperfield, le Petit Lord de Fauntleroy, le Marquis de Saint Evremond, j'ai toujours tenté de me conformer à l'esprit aussi bien qu'à la lettre du code des producteurs. Donc si je vous demande de revoir le cas, de regarder la séquence du film dans laquelle s'insère ce mot interdit, ce n'est pas une lubie de ma part. Une grande part de la force et la puissance dramatique d'Autant en emporte le vent, projet auquel nous avons consacré trois ans de dur travail et de dures réflexions repose sur ce mot.
Je soutiens que ce mot, tel qu'il est utilisé dans le film, n'est ni un juron ni un terme obscène. Ce qu'on eut en dire de pire, c'est que c'est une expression vulgaire, et c'est ainsi qu'on le définit dans l'Oxford English Dictionary. En vous demandant de faire une exception dans ce cas, je n'ai pas l'impression de vous demander d'employer un mot que la grande majorité des Américains et des institutions américaines trouvent réprehensible...
Comme nous allons essayer d'envoyer Autant en emporte le vent au laboratoire cette semaine, j'aimerais que vous preniez immédiatement ce problème en considération. M. Lowell Calvert, notre représentant à New York, a une copie de la scène dont je vous parle et il ne vous faudra que quelques secondes pour la voir...Cependant, vous pouvez juger possible de donner l'autorisation sans voir le film.
L'original de la phrase en question figure à la page 736 du roman et vous pouvez demander à votre secrétaire de vous le procurer.
Nous avons reçu les félicitations du public des avant-premières pour notre extrême fidélité au roman, et pratiquement le seul reproche qu'on nous ait fait, c'est l'étrange (aux yeux du public) omission de cette réplique. La fin du film en perd du punch et notre façon d'édulcorer l'intensité de cette réplique donne une impression de tricherie après trois heures et quarante minutes de fidélité, d'honnêteté scrupuleuse à l'égard de l'oeuvre Mlle Mitchell qui, comme vous le savez, est devenue une bible américaine.


 


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